Leone ceci est mon vin

L’accoutumance est un loup qui finit par tout dévorer.
Notre travail. Nos vêtements. Nos objets.
Les gens que nous aimons. Le goût du vin.

Comment faire pour retrouver la sensation de Vie ?
Comment faire pour sentir les choses, pour rendre les pierres pierres ?

Défamiliariser les choses. Les rendre étrangères. Étranges même.
Les montrer telles qu’elles sont perçues.
Non pas telles qu’elles sont connues.

J’ai mis ma tête à l’intérieur de la cuve la lumière l’éclat tranchant de l’aluminium la douceur jaunâtre de la fibre de verre tel l’intérieur d’une ruche d’un ventre j’ai vu couler le sang du raisin contre le métal froid contre tes jambes le tissu blanc immaculé j’ai vu ton corps descendre dans la cuve s’enfoncer dans la lie tes jambes disparaître reparaître à la surface d’un magma chaud mortel j’ai vu des tremblements de terre de fruits d’imperceptibles tremblements je t’ai vu disparaître à l’intérieur de cette matrice lieu originel je t’ai vu aussi comme un bagnard enchaîné à son labeur sa punition sa peine ton corps se plier au rythme des machines une qui tourne une qui tire une qui broie une qui emmène j’ai vu tes jambes coupées et des bouts de toi disparaître s’enfoncer et remonter à la surface mutilés j’ai vu ces bouts de toi comme une offrande festin des loups toi perdu happé par le mécanisme la grappe noire comme un essaim qui te piège prend racine sur ton visage s’accroche à ta gorge la table nue

le dernier repas

Ceci est mon vin.

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